Allah Akbar, une approximation française

Attentat terroriste dans le quartier de l'Opéra à Paris, le 12 mai 2018
(Photo : Olivier Corsan / Le Parisien)

Après chaque attentat, la plupart des médias français, contrairement à leurs collègues anglo-saxons, se bousculent pour nous dire que le ou les terroristes ont crié "Allah Akbar" avant de perpétrer leur crime abject. Mais voilà, ce cri tant redouté n'existe pas dans la langue arabe. C’est de l’arabe petit-nègre, comme diraient certains nostalgiques de l’ère coloniale. En réalité, la formule exacte est Allahou Akbar.

Ces journalistes et prétendus spécialistes qui hantent les plateaux parisiens l’auraient su s’ils avaient un jour soigneusement écouté un muezzin à l’heure de la prière. Ou s’ils avaient fait un peu attention en regardant "OSS 117 : Le Caire, nid d’espions". En plus, contrairement à ce qu’on nous répète en boucle sur les chaînes d’info en continu, "Allah Akbar" ne veut absolument pas dire "Dieu est grand".

Pour dire "Dieu est grand", on dit : Allah Kabir (ou Allah Kbir, selon les dialectes). Allah Kbir est une expression populaire très usitée quand on se retrouve, par exemple, face à un problème insoluble. Elle est utilisée, au Liban notamment, autant par les chrétiens que les musulmans, et n’est pas une formule religieuse.

Est-il utile de rappeler qu’Allah veut dire Dieu en arabe et n’est pas l’apanage exclusif de l’islam. Chrétiens, musulmans et juifs arabophones disent Allah quand ils parlent du dieu d’Abraham, de Moïse, de Jésus ou de Mohammad. Curieuse manie de toujours garder le mot arabe quand on évoque l’islam et les musulmans. Comme si on voulait absolument séparer le dieu musulman du dieu chrétien ou juif, alors que c’est évidemment le même.

Est-ce pour mieux donner chair à cette tartufferie qu’est le choc des civilisations, théorisée par Samuel Huntington et propagée par les néoconservateurs américains et européens? Ou faire oublier que l’islamisme radical tel que nous le connaissons aujourd'hui a plus à voir avec la politique étrangère occidentale qu’avec le monde musulman du XXème siècle?

N’oublions pas ce qu’était l’Afghanistan, pays communiste et laïc, avant que les États-Unis ne financent Oussama Ben Laden et sa légion arabe, devenue plus tard al-Qaeda. N’oublions pas non plus ce qu’était l’Irak avant l’invasion américaine, sur les ruines duquel est né Daech. Ou la Syrie avant que la guerre civile ne la ravage et voit émerger sur son territoire des groupes salafistes ou jihadistes comme Jabhat al-Nosra ou Jaysh el-Islam, armés et financés par les alliés indéfectibles de l'Otan que sont l'Arabie Saoudite et le Qatar. N’oublions pas ce qu'ont été ces "printemps arabes", sponsorisés par l’Occident, qui ont failli porter au pouvoir dans l’ensemble du monde arabe la très britannique confrérie des Frères Musulmans.

Ces pays arabes à majorité musulmane étaient certes des dictatures implacables, mais le fondamentalisme islamiste n’y avait pas droit de cité. L’actuel prince héritier saoudien, le fameux MBS, n’a-t-il pas affirmé au Washington Post, le 22 mars dernier, que c’est à la demande de l’Occident que l’Arabie Saoudite a financé et propagé le wahhabisme durant la Guerre Froide pour contenir l’influence de l’Union soviétique dans les pays musulmans?

Pour en revenir à nos médias et à leurs spécialistes, "Allah Akbar" ne veut pas dire non plus "Dieu est le plus grand".

"Dieu est le plus grand" pourrait se dire Allah al-Akbar – al : le, Akbar : plus grand. Il ne faut pas avoir fait polytechnique pour voir qu’il n’y a pas de al entre Allah et Akbar. D’ailleurs, cette formule non plus n’existe pas. Dieu n’a pas besoin d’être le plus grand vu qu’il est Unique et qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu – la ilah illallah, comme dit la profession de foi musulmane. 

Allahou Akbar veut dire "Dieu est plus grand". Ce qui, bien sûr, n’est pas du tout la même chose. Cette formule n’est pas comprise en Occident, et est utilisée de façon erronée par les jihadistes et autres islamistes radicaux. C’est dire à quel point la connaissance de l’islam par ces zélotes criminels qui s'en réclament est, au mieux, très approximative.

Que dit exactement cette formule?

Elle dit : quelles que soient les faiblesses des hommes, quelles que soient leurs bassesses, leur étroitesse d’esprit, leur intolérance, leur violence, quelles que soient les difficultés rencontrées ici-bas, Dieu est plus grand. Parce que Dieu est compatissant et miséricordieux. C’est écrit en ouverture (Fatiha) du Coran, pour bien faire comprendre aux croyants que c’est le principe premier sur lequel doit s’appuyer la lecture du reste du livre sacré : Bismellah al-Rahman al-Rahim : "Au nom de Dieu, le Compatissant, le Miséricordieux". En d’autres termes, la compassion et la clémence divine sont plus grandes que la petitesse des hommes et des horreurs que cette dernière peut générer.

Bref, certains médias français et leurs illustres spécialistes feraient mieux de se renseigner avant de nous asséner, comme autant de vérités, leurs regrettables approximations.


© Claude El Khal, 2018