Les larbins de l’Arabie


C’est fou ce qu’ils sont nombreux les larbins de l’Arabie. Au Liban, ils sont légion. Politiciens, journalistes, patrons de presse, présentateurs télé et businessmen ventrus. Que des gens respectables, bien comme il faut, qui vendraient leur conscience sur eBay s’ils le pouvaient. 

Depuis la démission surprise de Saad Hariri, ils hantent les plateaux télé et partagent avec nous leur passion pour les courbettes. Et en courbettes, ils s’y connaissent. De vrais spécialistes. Ils peuvent, l’œil pétillant et le sourire satisfait, en nommer les moult variations, en décrire avec délice les plus petites subtilités.

Ça ne les dérange pas le moins du monde que le Premier ministre du Liban ait démissionné à partir d’une capitale étrangère. Pas plus qu’il l’ait visiblement fait sous la contrainte. S’il avait été forcé d'exécuter une danse du ventre en direct à la télé, ils auraient salué l’ouverture d’esprit de leurs maîtres et chanté les louanges de leurs mœurs enfin libérées du carcan rigoriste.

Ils ne perdent pas non plus le sommeil quand un ministre étranger nous ordonne de faire ceci ou cela. Que ses injonctions soient bellicistes et insultantes ne leur défrise en rien les poils du torse. Au contraire, ils défendent le va-t-en-guerre comme si leur virginité en dépendait, quitte à assombrir à jamais l’avenir de tout Libanais normalement constitué, surtout s’il est jeune et a des projets plein la tête.

Ils se disent souverainistes, mais sont autant attachés à la souveraineté du Liban qu’un footballeur est accro aux œuvres complètes de Marcel Proust. Pendant des années, certains d’entre eux ont goulument léché la botte syrienne. Puis quand la mode est passée, ils se sont bousculés pour embrasser la babouche saoudienne. Ils vantent depuis les vertus du cuir hâlé du désert sur la santé publique.

Ils ont transformé le Liban en lupanar. Si nécessaire, ils seraient prêts à arpenter les trottoirs des ambassades, aguichant ceux qui y entrent et ceux qui en sortent, leur offrant toutes sortes de gâteries buccales et télévisuelles. Pour eux, tout est à vendre. Père, mère et partie. Les enfants aussi. Les leurs et ceux des autres. Quoique ceux des autres n’ont pas grande importance. Ils ne voient en eux que de futurs moutons et d’éventuels prédateurs. Quand leurs maîtres le décideront, les deux seront invités à se diriger vers l’abattoir du coin.

La particularité des larbins c’est qu’ils détestent tous ceux qui partagent leur servage mais pas leur maître. Les larbins des uns haïssent toujours les larbins des autres. Pour combattre un maître étranger, ils se mettent au service d’un autre maître, tout aussi étranger. Curieuse logique. Se mettre au service de leur peuple ne leur vient même pas à l’esprit. Et puis c’est très pauvre, le peuple. Ça ne paye pas les faveurs en dollars sonnants et trébuchants. Au mieux, ça y va de son vote. Mais comme il n’y a plus d’élections depuis longtemps, ça n’a plus rien à offrir.

Au Liban, les larbins sont les maîtres. Ce sont eux qui aboient les ordres qu’ils reçoivent. Ils ont bien sûr leurs larbins à eux qu’ils appellent zelem. Le monde idéal est à leurs yeux une pyramide de servitude où chacun est le valet de quelqu’un, et où, au sommet, se trouve une élite de larbins au service de la puissance étrangère à laquelle ils obéissent avec le zèle exemplaire qui les caractérise.

Comment ça fonctionne le cerveau d’un larbin? À quoi ça pense quand ça se réveille le matin, à quoi ça rêve quand ça s’endort le soir? Et entre le matin et le soir, qu’est-ce que ça mijote, sur quoi ça salive, vers quel paradis fiscal s’envolent ses fantasmes?

On dit que la science n’a pas encore découvert où se cache l’âme humaine. Chez les larbins, c’est une évidence. L’âme et la conscience se partagent le même espace dans leur portefeuille. Entre les cartes de crédit et les billets de banque. Entre la honte et le déshonneur.


© Claude El Khal, 2017