Réforme de l’orthographe : Cavanna avait raison


François Cavanna, écrivain, journaliste et dessinateur, fondateur d’Hara-Kiri et de Charlie Hebdo, publiait en 1989 un éloge, une longue lettre d’amour, à la langue française. Dans ce très bel essai intitulé "Mignonne, allons voir si la rose", il dénonçait déjà la réforme de l’orthographe.

Cette réforme est décrite par Cavanna – que personne ne peut objectivement cataloguer de réac, bien qu’ils soient capables de tout les hollandistes – comme "un de ces rares cadeaux gratuits que puisse encore offrir un gouvernement démago à son bon peuple, avec le droit de vote à douze ans et le rétablissement de la peine de mort".

Je vous invite à découvrir ces courts extraits de "Mignonne, allons voir si la rose", et à méditer sur les conséquences de cette réforme, et peut-être deviner pourquoi ils insistent tant à nous la faire avaler. En n’oubliant pas, bien sûr, que moins on lit, moins on sait réfléchir, plus on est docile et malléable.

"A douze ans (de mon temps), chaque Français savait écrire correctement sa langue, même s’il butait sur quelques malicieuses vacheries (…) En tout cas, personne ne trouvait l’orthographe injuste, tyrannique, élitiste, méprisante pour le bon peuple aux mains calleuses. On s’y montait excellent, moyen ou médiocre, le dictionnaire était là pour un coup, et même si l’on coupait un « m » à « commode », ou si l’on collait un « r » de trop à « intéressant », on n’en faisait pas une maladie. On avait bien d’autres sujets de soucis."

"Or, à qui servira-t-elle, cette réforme ? Pour qui la fait-on ? On la fait pour des gens qui ne lisent pas, qui liront de moins en moins, qui n’écriront pas davantage. On la fait pour ceux qui ne s’en serviront pas. C’est en lisant qu’on apprend à écrire. Pas en ânonnant du « par cœur ». En lisant, l’orthographe s’acquiert, par assimilation inconsciente. Pas seulement l’orthographe : tout l’art de convaincre et d’émouvoir en arrangeant des mots, l’art d’être clair, précis et aussi, pourquoi pas, l’art de faire beau… Pourquoi donc « simplifier » l’orthographe à l’usage des gens qui lisent et écrivent sur un magnétophone ? Réponse : pour qu’ils puissent décrocher leur bac !"

"Mais j’y pense : s’ils réforment l’orthographe, il faudra réimprimer tous les classiques ! Et même tous les textes importants (qui décidera de leur importance ?) parus avant la réforme ! Car les chers petits qui auront été élevés dans la nouvelle mode seront devant ces antiquités aussi perdus qu’un vendeur de Cocotte-minute d’aujourd’hui devant la chanson de Roland en version originale… Je suppose alors qu’il sera enseigné une orthographe à deux vitesses, dont une sera réservée à l’élève qui poursuivra des études universitaires au-delà de la licence ès lettres. Pour la masse, les œuvres de Molière, de Hugo, de Balzac, de Dumas, de Proust … ou de Cavanna ne seront accessibles que dans la mesure où l’éditeur estimera leur réimpression selon les normes nouvelles d’une rentabilité prospective justifiant la mise en chantier."

"Je vais me faire traiter de passéiste, ce qui est la façon polie de dire « vieux con », et même, implicitement, « vieux con de droite ». Car on ne fera pas dans le détail. Tu es contre la généreuse, égalisatrice et progressiste réforme de l’orthographe, DONC tu es aussi pour la peine de mort, pour l’école des curés, pour la reconduction des immigrés basanés à la frontière à coups de pied dans le cul, pour les vigilantes milices de citoyens armés, pour l’église intégriste, pour la femme aux casseroles, contre l’avortement, la pilule et l’accouchement dans la joie, pour l’accroissement du budget de l’armée et, vu ton âge, tu cultives la nostalgie des bons vieux temps vert-de-gris devant un portait du Maréchal. La réforme, c’est le Progrès. Qu’est-ce que le Progrès ? Ce qui est nouveau. Quel est le contraire du « progrès » ? Réponse: « ringard ». Surtout, surtout, ne pas être ringard ! La réforme est dans le vent. Les médias vont donner à fond la caisse. Comme, bien obligée, la gauche se rangera derrière les enseignants, c’est-à-dire du côté de la réforme."

Cavanna, tu nous manques, ta plume nous manque, cruellement. Regarde un peu ce qu'ils en font de la rose, ces sagouins…